Le Lion, sa cage et ses ailes

1976 

suivie d’une rencontre avec Armand Gatti au Centre Pompidou le 10 février 2014

Le Lion, sa cage et ses ailes de Armand Gatti, Hélène Chatelain, Stéphane Gatti

Poète, dramaturge, cinéaste, Armand Gatti, né en 1924 fils de l’éboueur Auguste et de la femme de ménage Letizia, grandit dans un bidonville, découvre la puissance concrète de la poésie au maquis en 1942. Depuis, il ne cesse d’expérimenter le pouvoir libérateur des mots, des images et des gestes de création. Réalisé de 1975 à 1977 avec Hélène Châtelain et Stéphane Gatti, Le Lion, sa cage et ses ailes offre une fresque de la condition ouvrière immigrée, tournée à Montbéliard dans le bastion Peugeot par, pour et selon les ouvriers eux-mêmes.

« Imaginez un film conçu pour être celui des ouvriers immigrés. Pas un film sur, ni seulement pour, un film bien sûr avec, mais plus profondément selon les ouvriers. Imaginez un film dont la perspective ne consiste pas à assigner des identités et confirmer des découpages sociaux, mais à affirmer des singularités : opinions, croyances, sentiments, présences à soi-même et aux autres. Imaginez un film qui reconfigure entièrement les réflexes identitaires usuels en matière de fabrique, d’organisation, de description de soi, de compte-rendu du travail et de la classe ouvrière. Ce film s’intitule Le Lion, sa cage et ses ailes, c’est une expérience lancée en 1975 par le poète, dramaturge et cinéaste Armand Gatti, conduite par Hélène Chatelain et Stéphane Gatti, et dont résulte une série d’autoportraits collectifs par les communautés des travailleurs émigrés de Montbéliard, bastion industriel de Peugeot. « Un film, le vôtre », avait affiché Armand Gatti pour convier les ouvriers à participer à son expérience. Il en résulte cent heures de rushes, montés en 8 épisodes.

Edition DVD : Montparnasse vidéo www.editionsmontparnasse.fr

 


 

« Ce sont eux, immigrés O. S. chez Peugeot ou manœuvres dans le bâtiment, qui ont tiré, véhiculé, écrit, pensé, joué et même dansé le film », précise la voix d’Hélène Chatelain au début de Montbéliard. Pour rendre compte de la diversité des conditions ouvrières, toutes soumises aux même cadences, à la même administration et à la même exploitation, pourtant toutes irréductibles, il fallait cette série organique de films qui, précisément, échappe à l’ordre capitaliste et n’obéit à rien : ni format, ni bonnes mœurs audiovisuelles, ni facilités politiques. Privilège est ici donné aux réflexions, aux inventions, aux désirs, aux nostalgies, aux révoltes de ces consciences qui refusent leur réduction à l’état de force de travail aliénée. En termes indissolublement de fabrication et de style, Le Lion, sa cage et ses ailes constitue une initiative majeure quant aux rapports du singulier et du collectif, de la poésie et de la politique, d’une situation historique et des fonctions de l’image.

Le Lion, sa cage et ses ailes représente à l’histoire de l’enregistrement magnétique ce que les films des Groupes Medvedkine représentent à l’histoire du cinéma argentique. »

Nicole Brenez

 

  • Montbéliard 43 min
  • Le Premier Mai, film polonais – 27 min
  • Arakha, film marocain – 59 min
  • L’Oncle Salvador, film espagnol – 50 min
  • La Difficulté d’être géorgien, film géorgien – 57 min
  • La Bataille des 3 P., film yougoslave – 43 min
  • Montbéliard est un verre, film italien – 40 min
  • La Dernière émigration – 50 min

Vidéo et Après, Armand Gatti, le lion, la cage et ses ailes – le 10 février 2014 au Centre Pompidou, Paris.

Avec Armand Gatti, Hélène Châtelain, Stéphane Gatti et Jean-Jacques Hocquard.

Avec les documents du Fonds documentaire Armand Gatti / La Parole errante.

Cent ans / Armand Gatti

2024

Cent ans déjà que Armand Gatti est né. C’est passé vite. À l’occasion de cet anniversaire, nous comptons revenir sur les principaux moments de l’écriture d’Armand Gatti. 

Gatti journaliste
Son écriture commence avec le journalisme en 1945. Il a déjà été immigré pièmontais, maquisard, prisonnier, évadé, parachutiste SAS. À la fin de la guerre, il quitte Monaco pour se rendre à Paris et se fait embaucher au Parisien libéré.

On le colle aux chroniques judiciaires. Il fera tous les procès de la collaboration, ceux des massacres commis par l’armée allemande à Oradour-sur-Glane ainsi qu’à Bordeaux. Celui de la Gestapo de la rue de la Pompe. Peu à peu avec son ami Pierre Joffroy, il va imaginer un journalisme d’enquête. Sur la détention des prisonniers, les plus pauvres, ceux qui n’arriveront jamais à échapper au cercle de la pauvreté. Enquête sur les conditions de vie des Algériens en France. Chaque enquête devient un appel au gouvernement. Puis ils feront des enquêtes qui dépassent le cadre de la France, qui parcourent les camps d’Europe où se trouvent des réfugiés coincés dans des camps, cherchant désespérément à ne pas réintégrer leur pays d’origine. Ils feront aussi des enquêtes sur leurs amis artistes qui viennent de l’étranger découvrir et peut-être travailler à Paris (À nous deux Paris).

 La dernière enquête menée par Gatti sur les dresseurs de fauves intitulée Envoyé spécial dans la cage aux fauves lui vaudra le prix Albert Londres et le titre de Grand reporter, c’est le début d’une nouvelle vie.

Gatti Grand Reporter
Aprés le tour de France, commence un premier tour du monde. Son journal l’envoie au Guatemala rendre compte d’un putsch organisé par les Américains. L’assassinat de son guide Felipe le convaincra qu’il n’a plus sa place dans ce métier.

De retour, il commence à écrire des pièces de théâtre. Le crapaud-buffle sur un dictateur d’un pays imaginaire. Mais il continue son travail de Grand reporter en Sibérie d’abord puis en Chine (avec Chris Marker) puis en Corée. C’est l’époque où les délégations du monde entier sont invitées à visiter et comprendre la transformation de ces sociétés communistes. Ils traverseront toute la Sibérie, la Chine et la Corée où Gatti clôture son voyage par l’écriture d’un scénario pour le film Morambong.

Gatti écrivain des institutions théâtrales
Il fait encore quelques piges pour les journaux mais un nouveau tour du monde commence avec l’écriture théâtrale. Grâce à la photographe, Agnès Varda, grande amie de Jean Vilar, elle donnera à ce dernier la pièce de Gatti, Le crapaud buffle qui sera monté en 1960 à la salle Récamier. C’est le début d’une traversée fulgurante des scènes françaises où les pièces d’Armand Gatti, sont montées à Lyon, Marseille, Toulouse, St Etienne, Paris mais aussi en Allemagne. Tour à tour, le sujet de ses pièces se déplacent de la Chine, au Vietnam, à l’émigration italienne aux camps allemands. Il recevra le prix Fénéon pour sa pièce Le Poisson noir sur la Chine de Tsin.
En Septembre 68 , coup de gong : le gouvernement De Gaulle interdit la pièce, de Gatti La passion du général Franco.

Gatti interdit
Le tour du monde par l’écriture continue mais avec de nouvelles modalités.
Depuis quelques années déjà les pièces de Gatti, sont traduites et jouées en allemand. Même La passion du général Franco d’ailleurs avec succès. Après l’interdiction en France, il s’installe à Berlin pour écrire le poème Les personnages de théâtre meurent dans la rue : là il découvre la radicalité allemande. Il écrit une pièce La moitié du ciel et nous en solidarité avec Ulrike Meinhof détenue. Cette pièce marque la fin de l’épisode allemand , il ne sera plus invité …

Gatti Avec et déterritorialisé
Le tour du monde se continue avec une écriture déterritorialisée.
Après toutes ces interdictions, l’écriture théâtrale de Gatti ne se pense plus à partir des institutions de la scène. Avec le texte Petit manuel de guérilla urbaine, son écriture ne se pense plus dans un théâtre mais dans un nouveau dispositif : une salle d’hôpital ou dans une salle de classe pendant les cours. A cette déterritorialisation s’ajoute le fait que le texte est joué par ceux qui ont été témoin de l’écriture du texte. Une écriture pensée, rédigée, avançant en dialogue permanent avec ceux qui participent au travail. Ce grand chantier commencera en Belgique avec deux grandes expériences, : la première dans une usine de Schaerbeek sur La colonne Durruti. Et l’autre dans la campagne du Brabant wallon avec toujours les étudiants de l’IAD.
Non seulement c’est un travail avec… Mais un travail également complètement déterritorialisé. Depuis 1975, jusqu’à la fin de sa vie, il arrivera à tenir son écriture dans l’avec et la déterritorialisation radicale (disciple d’une certaine façon de Guattari et Deleuze).

Le dernier épisode de ces écritures, tout en gardant le même cadre de l’écriture avec et de la déterritorialisation se fixera sur le projet de construire une cathédrale à la Résistance. La clé du dispositif, le mathématicien résistant Jean Cavaillès et le réseau Cohors. Les lectures de Cavaillès vont peu à peu faire découvrir à Gatti la physique quantique et une pensée qui met à mal le déterminisme. Enfin ! Avec Cavaillés et la physique quantique, Armand Gatti arpentera Strabourg, Sarcelles, Ville Evrard, le Cern, Genève etc.…Texte après texte, il arpente cette cathédrale, certains diront ce projet éléphantesque et ils ont raison parce que les cathédrales ont souvent la forme d’éléphants

Les noms de Jean Cavaillés, de Rosa Luxembourg, des fusillés de Tarnac, de Sacco et Vanzetti, du groupe Manouchian, de Roger Rouxel, de Camilo Torres, de Michèle Firk, d’Ulrike Meinhof rappelle que depuis son premier livre Bas relief pour un décapité jusqu’aux derniers épisodes de la Traversée des langages, durant toute sa vie Armand Gatti n’a finalement défendu qu’une seule idée : donner aux martyrs et aux combattants quelques instants de plus à vivre, les libérer de la fusillade, de la chaise électrique et de la décapitation pour retrouver la puissance de leur conviction. SG