Nous ne sommes pas des personnages historiques

Documentaire
Réalisation, image et montage : Hélène Châtelain ; Texte de la pièce : Armand Gatti ; Son et mixage : Frédéric Ullmann ; Participants : (Stagiaires CRAFI 1), Murielle Béguin, Abdel-Kader Benzemour, Valérie Celerier, Habiba Chouchaoui, Marie-France Cougot, Pierre Dispans, Georges Dominguez, Nathalie Gonzales, Hugues Heurtebise, Dominique Jean, Zhora Khelifa, Reda Loune, José Murtinheira, Ben Abdellah Refas, Jean-Michel Williz, Rosette Winterstein ; Témoignage : May Piqueret ; Arrangements musicaux : Guy Bertrand ; Musiques : Pascal Bourges, Philippe Massot, Philippe Davezies, Groupe Snap, Fabrice Rougier, Daniel Souque, Bruno de Gaulejac.
Date : 1985
Production : France, Toulouse : Archéoptéryx – France, Paris : Les Voyelles.
Participation : ministère de la Culture, CR Midi-Pyrénées.
© : France, Montreuil : La Parole errante.
Description matérielle : vidéo : coul. ; 95 min.
Numéro de notice : LPE-FAG-IA/0126
Documentaire réalisé autour de la pièce de théâtre « L’émission de Pierre Ménard » (qui deviendra par la suite Nous ne sommes pas des personnages historiques », écrite et mise en scène par Armand Gatti avec les stagiaires du Collectif de recherche sur l’animation la formation et l’insertion (CRAFI 2) : 1e stage, la représentation de la pièce et entretiens des stagiaires.
Toulouse, 1984. “De janvier à juin, l’atelier de création populaire a accueilli un stage dit d’insertion sociale réunissant une quinzaine de jeunes sans emplois, marginalisés par leur âge, leur origine, leur histoire personnelle.” Hélène Châtelain rend compte de l’aventure menée par Armand Gatti avec les stagiaires autour de Nestor Makhno, révolutionnaire et anarchiste ukrainien, qui débouchera sur l’écriture d’une pièce et sa représentation. Il y a d’abord les “qui suis-je ?” Le théâtre de Gatti est une quête identitaire et le travail débute toujours pour les stagiaires par une recherche de soi, des séquences où chacun a écrit un texte le concernant. À partir de là commence la construction du spectacle selon des itinéraires complexes. Apporter une image, selon Gatti, c’est apporter son passé, son contexte et tout ce qui l’entoure, car “une image sans culture est destinée à mourir de froid”. La pièce écrite par Gatti est lue devant les stagiaires ; la mise en scène prend forme dans le décor (réalisé par Stéphane Gatti) d’une émission de télévision qui se préparerait sur Makhno. S’ajoutent encore cinq petites fictions sur la vie du révolutionnaire, tournées en noir et blanc, qui seront montrées lors de la représentation. “Ce personnage nous le construisons mieux que Makhno encore, et c’est le personnage de l’exilé”, témoigne un des acteurs. Il suffit d’un chapeau pour devenir par mutation directe un personnage historique.
Résumé CNC : Tristan Gomez

Cent ans / Armand Gatti

2024

Cent ans déjà que Armand Gatti est né. C’est passé vite. À l’occasion de cet anniversaire, nous comptons revenir sur les principaux moments de l’écriture d’Armand Gatti. 

Gatti journaliste
Son écriture commence avec le journalisme en 1945. Il a déjà été immigré pièmontais, maquisard, prisonnier, évadé, parachutiste SAS. À la fin de la guerre, il quitte Monaco pour se rendre à Paris et se fait embaucher au Parisien libéré.

On le colle aux chroniques judiciaires. Il fera tous les procès de la collaboration, ceux des massacres commis par l’armée allemande à Oradour-sur-Glane ainsi qu’à Bordeaux. Celui de la Gestapo de la rue de la Pompe. Peu à peu avec son ami Pierre Joffroy, il va imaginer un journalisme d’enquête. Sur la détention des prisonniers, les plus pauvres, ceux qui n’arriveront jamais à échapper au cercle de la pauvreté. Enquête sur les conditions de vie des Algériens en France. Chaque enquête devient un appel au gouvernement. Puis ils feront des enquêtes qui dépassent le cadre de la France, qui parcourent les camps d’Europe où se trouvent des réfugiés coincés dans des camps, cherchant désespérément à ne pas réintégrer leur pays d’origine. Ils feront aussi des enquêtes sur leurs amis artistes qui viennent de l’étranger découvrir et peut-être travailler à Paris (À nous deux Paris).

 La dernière enquête menée par Gatti sur les dresseurs de fauves intitulée Envoyé spécial dans la cage aux fauves lui vaudra le prix Albert Londres et le titre de Grand reporter, c’est le début d’une nouvelle vie.

Gatti Grand Reporter
Aprés le tour de France, commence un premier tour du monde. Son journal l’envoie au Guatemala rendre compte d’un putsch organisé par les Américains. L’assassinat de son guide Felipe le convaincra qu’il n’a plus sa place dans ce métier.

De retour, il commence à écrire des pièces de théâtre. Le crapaud-buffle sur un dictateur d’un pays imaginaire. Mais il continue son travail de Grand reporter en Sibérie d’abord puis en Chine (avec Chris Marker) puis en Corée. C’est l’époque où les délégations du monde entier sont invitées à visiter et comprendre la transformation de ces sociétés communistes. Ils traverseront toute la Sibérie, la Chine et la Corée où Gatti clôture son voyage par l’écriture d’un scénario pour le film Morambong.

Gatti écrivain des institutions théâtrales
Il fait encore quelques piges pour les journaux mais un nouveau tour du monde commence avec l’écriture théâtrale. Grâce à la photographe, Agnès Varda, grande amie de Jean Vilar, elle donnera à ce dernier la pièce de Gatti, Le crapaud buffle qui sera monté en 1960 à la salle Récamier. C’est le début d’une traversée fulgurante des scènes françaises où les pièces d’Armand Gatti, sont montées à Lyon, Marseille, Toulouse, St Etienne, Paris mais aussi en Allemagne. Tour à tour, le sujet de ses pièces se déplacent de la Chine, au Vietnam, à l’émigration italienne aux camps allemands. Il recevra le prix Fénéon pour sa pièce Le Poisson noir sur la Chine de Tsin.
En Septembre 68 , coup de gong : le gouvernement De Gaulle interdit la pièce, de Gatti La passion du général Franco.

Gatti interdit
Le tour du monde par l’écriture continue mais avec de nouvelles modalités.
Depuis quelques années déjà les pièces de Gatti, sont traduites et jouées en allemand. Même La passion du général Franco d’ailleurs avec succès. Après l’interdiction en France, il s’installe à Berlin pour écrire le poème Les personnages de théâtre meurent dans la rue : là il découvre la radicalité allemande. Il écrit une pièce La moitié du ciel et nous en solidarité avec Ulrike Meinhof détenue. Cette pièce marque la fin de l’épisode allemand , il ne sera plus invité …

Gatti Avec et déterritorialisé
Le tour du monde se continue avec une écriture déterritorialisée.
Après toutes ces interdictions, l’écriture théâtrale de Gatti ne se pense plus à partir des institutions de la scène. Avec le texte Petit manuel de guérilla urbaine, son écriture ne se pense plus dans un théâtre mais dans un nouveau dispositif : une salle d’hôpital ou dans une salle de classe pendant les cours. A cette déterritorialisation s’ajoute le fait que le texte est joué par ceux qui ont été témoin de l’écriture du texte. Une écriture pensée, rédigée, avançant en dialogue permanent avec ceux qui participent au travail. Ce grand chantier commencera en Belgique avec deux grandes expériences, : la première dans une usine de Schaerbeek sur La colonne Durruti. Et l’autre dans la campagne du Brabant wallon avec toujours les étudiants de l’IAD.
Non seulement c’est un travail avec… Mais un travail également complètement déterritorialisé. Depuis 1975, jusqu’à la fin de sa vie, il arrivera à tenir son écriture dans l’avec et la déterritorialisation radicale (disciple d’une certaine façon de Guattari et Deleuze).

Le dernier épisode de ces écritures, tout en gardant le même cadre de l’écriture avec et de la déterritorialisation se fixera sur le projet de construire une cathédrale à la Résistance. La clé du dispositif, le mathématicien résistant Jean Cavaillès et le réseau Cohors. Les lectures de Cavaillès vont peu à peu faire découvrir à Gatti la physique quantique et une pensée qui met à mal le déterminisme. Enfin ! Avec Cavaillés et la physique quantique, Armand Gatti arpentera Strabourg, Sarcelles, Ville Evrard, le Cern, Genève etc.…Texte après texte, il arpente cette cathédrale, certains diront ce projet éléphantesque et ils ont raison parce que les cathédrales ont souvent la forme d’éléphants

Les noms de Jean Cavaillés, de Rosa Luxembourg, des fusillés de Tarnac, de Sacco et Vanzetti, du groupe Manouchian, de Roger Rouxel, de Camilo Torres, de Michèle Firk, d’Ulrike Meinhof rappelle que depuis son premier livre Bas relief pour un décapité jusqu’aux derniers épisodes de la Traversée des langages, durant toute sa vie Armand Gatti n’a finalement défendu qu’une seule idée : donner aux martyrs et aux combattants quelques instants de plus à vivre, les libérer de la fusillade, de la chaise électrique et de la décapitation pour retrouver la puissance de leur conviction. SG